Vélos

Quel bilan après 6 mois à vélo cargo à la campagne ?

Il y a 6 mois, je me suis fait plaisir. J’ai décidé de remplacer ma voiture par un vélo cargo électrique. Un pari quand on habite une zone plutôt rurale. Voici ce que je retiens de ces 6 premiers mois.

À la faveur d’un changement de boulot (à l’origine de la création de ce beau média qu’est Transition Vélo), un chèque gratifiant 10 ans de loyauté m’était remis. Ne nous voilons pas la face, l’argent reste le nerf de la guerre, surtout dans le vélo. Ce changement de vie et cette rentrée de deniers sont à l’origine de tout ce cheminement.

Commençons par planter le décor. Récemment expatrié dans le Luberon, au sud-est du Vaucluse (84), j’habite la petite ville d’Apt. Ceux qui connaissent cette région savent qu’elle est un groupement de petits villages au charme légendaire : de la majesté de Gordes à l’Ocre de Roussillon en passant par Bonnieux ou Goult.

Un pays de vélo, certes, mais surtout sur route, avec le célèbre Mont Ventoux à quelques kilomètres. La petite ville du Luberon est également traversée par l’Eurovelo 8. Un itinéraire dédié au vélo qui s’étend sur 7350 km, de Cadix dans le sud de l’Espagne jusqu’à Chypre !

Le tourisme à vélo, c’est une chose. Mais Apt reste une toute petite ville de 12 000 habitants entourée de villages reliés entre eux par des départementales aussi belles que dangereuses à vélo. La cohabitation avec les voitures est, comme souvent en zone rurale, pour le moins compliquée.

Donner de la place au vélo dans une région où la voiture personnelle est vue comme indispensable semble relever du doux rêve. Nous avions, comme beaucoup de ménages hors des grandes villes, 2 voitures pour le foyer. Travaillant beaucoup de la maison, la seconde voiture ne m’était pas d’une grande utilité et passait le plus clair de son temps stationnée. J’ai donc pris la décision de me séparer de cette petite Twingo II pour la remplacer par un vélo.

Un vélo qui ne laisse pas de place aux excuses

Entre la vente de la voiture et la rentrée d’argent suite à mon départ de mon ancien boulot, mon budget était élevé. Le Luberon, c’est beau, mais ça grimpe de partout. N’ayant pas une condition physique de grand sportif, le vélo électrique me paraissait une évidence. Mes trajets consistant pour majorité à transporter mon fils de 2 ans alors, je souhaitais un maximum de confort pour lui. Je me suis donc tourné vers un vélo biporteur, équipé d’une capote pour que ni le soleil estival, ni le froid et la (rare) pluie hivernale ne soient une excuse.

Un enfant heureux et bien installé.

Autant le dire tout de suite, je me suis fait plaisir avec ce vélo. Direction Aix-en-Provence pour essayer (c’est important) celui qui me faisait de l’oeil : un Riese & Müller Load4 75. Un beau bébé qui profite d’un tas d’équipements de premier ordre et surtout d’une suspension avant et arrière. Quitte à ne rouler plus qu’à vélo, autant avoir une machine qui donne envie.

Mais ce qui a fini de me convaincre de choisir ce vélo biporteur très haut de gamme, c’est la version HS. Un sigle pour « High Speed », qui décrit un vélo qui passe dans la catégorie des speedbikes. Ces derniers sont dotés de moteurs dont l’assistance peut grimper jusqu’à 45 km/h. Ils passent dans une réglementation qui les approche des cyclomoteurs.

Qui dit cyclomoteur, dit assurance, immatriculation, équipement adapté… Des « concessions » que j’étais prêt à faire, compte tenu de l’atout que constituait le gain de vitesse.

Du plaisir et rien que du plaisir

Dans un environnement rural où tout est soit tout près, soit très loin, les distances sont un premier frein à l’adoption du vélo. Pour se rendre au village voisin, il faut rouler 10 km aller, 10 km retour et avaler un peu de dénivelé. Oui, en voiture, cela se fait très rapidement et sans effort. Avec un speedbike, la différence reste tout de même plus négligeable sur de telles distances.

Surtout, on partage la route avec des voitures qui roulent au plus vite à 80 km/h (dans la pratique nombreux sont ceux qui dépassent cette limitation). En réduisant l’écart de vitesse entre eux et moi, je me trouve plus en sécurité finalement. En ville, je roule à la même vitesse que les voitures en zones 50 km/h et je ne subis pas les dépassements au raz du guidon.

Tuning ? Non, maximisation de la visibilité de nuit !

Évidemment, la masse du vélo cargo joue un rôle dissuasif également. Est-ce par la supposition que je transporte un ou plusieurs enfants ? Par peur d’abimer sa belle auto sur un vélo autrement plus imposant ? Je ne saurais pas vraiment le dire. Mais en vélo cargo, j’ai le sentiment de moins « subir » la route. Oui, cela reste un triste raisonnement. Non, les cyclistes ne devraient pas avoir à serrer les fesses en entendant arriver un véhicule à fond derrière eux. Évidemment, des itinéraires cyclables protégés sont la meilleure des options. Mais il faut faire avec ce qu’on a. Ou plutôt, ici, ce qu’on n’a pas.

Un cargo, ça protège

Le premier objectif pour mon vélo cargo, c’était de transporter mon fils de 2 ans, confortablement et en sécurité. Sur ce point, je dois dire que je suis pleinement satisfait. Mon fils également. Il n’a jamais rechigné à monter dans le vélo, qu’il fasse 38 °C ou -8 °C.

Bien à l’abri sous la capote, il profite d’un très large espace qui peut accueillir jusqu’à 3 de ses congénères. Son plaisir : choisir sa place dans le vélo. Tantôt face à la route, tantôt face à moi. À vélo, lui et moi pouvons chanter, discuter, échanger sur ce qu’il voit (les tracteurs, notamment, qu’il adore)… Les trajets quotidiens sont un peu plus longs, mais bien plus riches pour lui.

Parfois, lorsqu’il pleut à verse, je dois bien avouer que je l’envie. J’aimerais vivre un orage, bien à l’abri en regardant les gouttes heurter puis glisser le long de la capote transparente. Mais il faut bien que l’un de nous deux fasse avancer le vélo, et, finalement, équipé de vêtements étanches, même les orages du sud ne sont pas si méchants.

L’été, il fait chaud

En commençant ma nouvelle vie de cycliste à temps plein au mois de juin, je m’évitais les aléas climatiques qui peuvent décourager. Bon, soyons francs, le sud du Vaucluse n’est pas particulièrement arrosé par les pluies. En revanche, la chaleur est bien plus présente. Rouler sous plus de 35 °C se montre finalement bien plus difficile que sous une pluie battante. On peut facilement se prémunir de la pluie avec de bons équipements. Pour la chaleur, c’est une autre histoire.

Un vélo haut de gamme qu’on ne rechigne pas à enfourcher.

Il m’est arrivé de repenser avec nostalgie à la climatisation de la ma Twingo. Toutefois, je me rappelais rapidement que sur la plupart des petits trajets que je faisais, elle ne commençait à être efficace qu’à mon arrivée à destination. À vélo (même électrique), certes les côtes se font plus dures sous le soleil, mais c’est pour mieux profiter de l’air en descente.

Un speedbike n’est pas un scooter

Je l’ai dit en préambule, la région aptésienne est vallonnée. J’ai rapidement été content d’avoir choisi un vélo électrique pour cette raison. Sans l’assistance, j’aurais très rapidement laissé tomber le vélo. Je n’ai ni le temps ni l’envie de m’entrainer pour avoir la condition physique nécessaire à gravir les grosses côtes qui entourent mon domicile.

Dans certaines côtes, mon vélo cargo Riese & Müller aidé de son moteur Bosch Performance Line Speed ne dépasse pas les 22 km/h. Et pourtant, je vous garantis que j’appuie sur les pédales. Un speedbike n’est définitivement pas un scooter, surtout sous la forme d’un cargo lourd et au rendement plus faible.

Sur le plat, le Load4 HS offre en revanche une vivacité plus qu’appréciable. On prend presque du plaisir à déposer les automobilistes aux départs aux feux. Eux qui nous ont collés sur plusieurs centaines de mètres, rageant probablement de ne pas pouvoir rouler à 50 km/h, devant se contenter de 45 km/h…

Des capacités pour tout faire

Le Load4 75 de Riese & Müller offre une grande capacité de chargement. Aucun problème, donc, pour aller faire des courses. Sa caisse avant doit offrir, peu ou prou, le même volume de chargement que le coffre de ma Twingo. Évidemment en rabattant les sièges arrière, cette dernière peut embarquer bien plus, mais je n’achète pas tous les jours des armoires (je suis sûr que mon cargo pourrait en transporter une…).

De la place, beaucoup de place.

Toutefois, il faut tout de même admettre que certaines choses changent. Mon vélo ne ferme pas à clé. Il existe bien des accessoires qui le permettent, mais je ne les possède pas. Je ne peux donc pas faire une partie de mes courses au supermarché, puis me rendre dans un second magasin pour mes surgelés, par exemple. Je ne me vois pas laisser toutes mes courses sans surveillance. Une fois sur deux, les sacs finiraient probablement par disparaitre.

En réalité, plus encore que l’insécurité du contenu, je crains pour mon vélo lui-même. Car dans une région où la voiture est jugée indispensable, personne ne semble envisager qu’on puisse faire autrement. Les supermarchés, grandes surfaces de bricolage et autres zones commerciales du coin négligent totalement le vélo sur leurs parkings.

Apt compte tout de même 3 supermarchés. Aucun d’eux ne va plus loin qu’un pauvre rack pince-roue pour stationner un vélo. Une infrastructure qui ne protège pas le vélo que l’on doit accrocher par une roue et qui en plus peut endommager les rayons de ladite roue. Le premier des 3 supermarchés qui remplacera ce maudit équipement par de beaux arceaux (couverts, soyons fous) gagnera au moins un client.

Pas très envie d’y mettre ma roue !

Pour les 2 grandes enseignes de bricolage de la petite ville, il n’y a tout simplement RIEN pour stationner un vélo. Il faut alors prendre le risque de s’arrimer à du mobilier urbain, en prenant le risque qu’une voiture vienne emboutir votre monture. Le seul moyen efficace pour attacher mon vélo cargo devant mon magasin de bricolage est un arceau entourant un lampadaire. Lorsque j’y attache mon vélo, je déborde sur 2 places de voiture. Certes, certains conducteurs de berlines allemandes n’y voient là que la seule et unique façon de se garer sur un parking…

Plutôt que de me creuser la tête à chaque fois que j’ai besoin d’un outil ou de quelques vis, je vais désormais me tourner plus naturellement vers le commerce en ligne. C’est bien dommage.

La ville (même petite), terrain plus favorable

Heureusement, la ville d’Apt n’est pas qu’un enfer pour cycliste. Dans le centre, les aménagements de stationnement sont plus nombreux et bien plus adaptés à la réalité. Des arceaux sont présents un peu partout. On trouve même des prises pour recharger son VAE et de quoi regonfler ses pneus du côté de l’Eurovélo 8.

Surtout, même dans une petite ville telle que la sous-préfecture, on se rend vite compte qu’on est plus rapides à vélo. Le temps perdu en voiture pour parcourir quelques centaines de mètres, trouver une place pour se garer… Ce temps disparait presque à vélo. Une course « rapide » pouvait me prendre 30 minutes en voiture, elle n’en prend plus que 20 à vélo.

Parfois, il pleut.

Et encore, la vitesse est loin d’être limitée à 30 km/h partout. Dans ce cas, le gain serait encore plus important. Surtout, cela permettrait de se sentir bien plus en sécurité. En roulant à la même vitesse que les voitures, on ne se fait pas doubler de trop près, coller, insulter (quoique…)… Le vélo cargo, plus encore en speedbike, me permet de mieux m’imposer sur la chaussée. Je prends la place qui me revient. Encore une fois, devoir penser comme ça reste bien triste.

Certains diront sans doute que la municipalité fait des efforts pour rendre le vélo plus attractif avec la création d’infrastructures. Mais comme trop souvent, ces infrastructures sont pensées par des gens qui ne pratiquent pas le vélo et n’auront donc jamais à les emprunter. Un « chaussidou » dans une zone qui laissait la place à de vrais itinéraires protégés, une piste cyclable, certes séparée de la route, mais jonchée de potelets et de sorties de parkings… Les exemples farfelus ne manquent pas.

Voilà la considération à laquelle le vélo a droit dans le plus grand supermarché de la ville.

Et financièrement ?

J’ai la chance de pouvoir dire que l’aspect financier n’était pas ma première motivation. Néanmoins, les économies lissées sur l’année sont réelles. Même pour une voiture qui roulait assez peu. Mes dépenses annuelles liées à ma petite Twingo :

  • Carburant : Environ 1 plein par mois = 840 €/an
  • Assurance : Formule au tiers = 580 €/an
  • Entretien : Environ 400 €/an
  • Total = 1820 € / an

Pour mon vélo, je n’ai pas éliminé tous les coûts, car il s’agit d’un speedbike. Je dois donc payer :

  • Assurance : 390 €/an (tous risques + vol)
  • Recharge : à raison d’une par semaine environ = 10 €
  • Entretien : Environ 100 €/an
  • Total = 500 € / an

Que les grands fans de compta tempèrent leurs ardeurs, cela reste une estimation à la louche. Mais, cela donne tout de même une idée des économies que l’on peut réaliser. D’autant que le prix de l’essence ne risque pas de baisser (celui de l’électricité non plus, me direz-vous).

Aucun regret, beaucoup d’espoir

Malgré tous ces freins, mon vélo cargo est devenu une vraie source de plaisir. S’il m’arrive de ne pas le prendre pour quelques jours à l’occasion de vacances ou autre, il finit par me manquer. On entend souvent les gens qui font du sport parler de leur pratique comme d’une source de dépendance. Je ne suis pas un grand sportif et pourtant, je finis par les comprendre. Car, oui, même à vélo électrique on fait de l’exercice. Pousser sur deux pédales de vélo, même aidé par un moteur, demande toujours plus d’effort que presser les 3 pédales d’une voiture.

Je ne vous dirai pas que certains jours, je n’aurais pas troqué ma selle pour un siège de voiture. Les jours de nez qui coule, de fatigue suite à une mauvaise nuit ou toute autre excuse sont plus durs. Mais dans l’ensemble, cela représente une partie infime de ma relation avec mon vélo cargo.

J’ai la chance d’avoir un boulot tout sauf pénible et de travailler beaucoup de chez moi. Mais quand je vois le monde autour de moi qui prend sa voiture pour un oui ou pour un non, pour des trajets ridiculement courts et parfois même en empruntant la départementale qui longe la magnifique piste Eurovélo, je me dis que nous avons, en tant que société encore beaucoup à faire.

Avoir les moyens de prendre un tel vélo cargo est également une chance. Pour rouler régulièrement sur des vélos électriques classiques, les sensations ne sont clairement pas les mêmes. La sensation de vulnérabilité est bien plus grande. Ma femme, qui roule elle aussi à vélo, a préféré changer de trajet pour un temps de parcours plus long à cause de ce manque de sécurité.

Le paradoxe est justement là. Beaucoup d’automobilistes ne souhaitent pas passer au vélo par peur de la cohabitation avec les voitures. Pourtant, ils ne remettent jamais en cause leurs propres pratiques et sont les premiers à dénoncer chaque pas fait en direction des cyclistes. Rien ne fait plus évoluer les mentalités que l’expérience.

Peut-être devrait-on enjoindre les décideurs à prendre leur vélo plus souvent pour être confrontés aux aménagements qu’ils valident. Sans doute qu’habituer les enfants le plus tôt possible à la pratique du vélo les rendra plus sensibles à ce mode de transport à l’âge adulte. Certainement que le jour où l’on redirigera les fonds utilisés pour maintenir le réseau routier vers le soutien au vélo, bon nombre des freins seront levés.

  • Mis à jour le 20 mars 2024

Journaliste à vélo, expatrié dans le Luberon. Persuadé d'être un sniper de l'humour, qui ne rate jamais sa cible.

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