Vélos

On a visité la nouvelle usine d’Arcade Cycles, l’un des leaders méconnu du vélo en France

Plus de 60 000 vélos sortent de son usine de La Roche-Sur-Yon chaque année et Arcade Cycles, ne pouvant plus repousser les murs, a investi dans une nouvelle usine plus grande et moderne pour accompagner ses ambitions. Visite.

La pose de la fourche d’un vélo en cours d’assemblage sur la nouvelle ligne d’Arcade Cycles.

6h25 du matin. Hall 1. Paris Montparnasse. Le rendez-vous (très matinal) était pris pour filer en TGV jusqu’en Loire Atlantique, afin de découvrir l’usine flambant neuve de l’un des plus grands fabricants de vélos en France. Un fabricant que peu de gens connaissent, et pourtant, « il y a de très fortes chances pour que vous ayez déjà roulé avec l’un de nos vélos », introduit Frédéric Lucas, directeur général de l’entreprise familiale qu’il a repris en 2022.

Tout le monde (ou presque) a enfourché un vélo Arcade

Ce fabricant, c’est Arcade Cycles, l’un des spécialistes mondiaux des flottes de vélos. Ses bicyclettes, on les retrouve essentiellement proposées par des loueurs, des collectivités, des entreprises, etc.

Vous louez un BikeMi pour quelques tours de roues à Milan, c’est un vélo Arcade. Vous prenez un Citi Bike pour aller à la plage à Miami, Arcade. Vous rejoignez le parc Guell en Bicing après la visite de la Sagrada Familia à Barcelone… Arcade ! Et ça, ce n’est que pour l’activité de fabrication de vélos en libre partage.

Quelques-uns des vélos fournis par Arcade aux collectivités. Les parisiens reconnaîtront le Velib’.

L’entreprise de La Roche-Sur-Yon fournit également d’innombrables loueurs en France. Loueurs chez qui amateurs de vélos et autres vacanciers de passage viennent louer, le temps d’un après-midi ou pour quelques jours, de quoi faire une balade en front de mer sur un beach cruiser au look vintage, découvrir une ville sans effort en vélo électrique ou s’échapper dans la nature le temps d’une rando VTT.

« Dans le domaine, nous sommes incontestablement les leaders en France et à l’échelle mondiale peu d’entreprises savent faire ce que l’on fait. Vous voulez 10 vélos résistants avec le minimum d’entretien entièrement personnalisés aux couleurs de votre ville pour dans un mois, on peut le faire », résume le directeur qui précise que si l’entreprise a raté le marché des Vélib’ parisiens à l’époque, elle assemble bel et bien les Vélib’ de deuxième génération.

Bien que la vente directe ne soit pas le cœur d’activité d’Arcade Cycles, un magasin d’usine faisant office de showroom présente les vélos de l’entreprise au grand public sur 300 m².

Il est aussi très fier de faire rouler ses vélos à Lima au Pérou, à Abu Dhabi aux Emirats Arabes Unis ou encore à Johannesburg en Afrique du Sud, même si l’export ne représente finalement qu’environ 20 % de son activité. Quant à l’assemblage pour d’autres marques, c’est également l’une de ses activités, même si certains deals restent secrets. On sait néanmoins que les vélos Gaya sont assemblés ici, par exemple.

Un ancrage local tenace

Visiter une usine de fabrication de vélos récemment inaugurée est toujours intéressant pour voir et comprendre les enjeux, les problématiques, les positionnements et les solutions d’acteurs au cœur du marché. Chez Arcade Cycles, c’est aussi l’occasion de faire un peu d’histoire et de comprendre l’ancrage local très prononcé de l’entreprise.

La nouvelle usine d’Arcade. 15 000 m² au total et 8 000 m² de panneaux photovoltaïques sur le toit, de quoi être autonome en énergie et revendre la moitié de la production pour alimenter les entreprises avoisinantes.

« Je vous mentirais si je vous disais que nous n’avons jamais exploré des pistes qui nous amenaient sur d’autres territoires, en France ou en Europe. Nous avons eu des tas de sollicitations. Mais je vais vous dire la vérité, je ne me voyais pas partir. Rien que la perspective de nous éloigner à quelques dizaines de kilomètres de ce site, ça ne m’allait pas », tranche Frédéric Lucas.

On apprend qu’avant Arcade Cycles, il y avait Intercycles qui a démarré comme importateur de vélos chinois pour les grandes surfaces françaises. Mais couac. Des problèmes concernant la qualité des vélos ont raison de l’entreprise qui est finalement reprise avec une nouvelle optique : pour mieux contrôler la qualité des produits, il faut les assembler en France. C’est alors que l’entreprise commence à se positionner sur la location touristique et les vélos personnalisés de petites séries.

En 2009, nouveau couac. L’usine d’Intercycles de La Roche-Sur-Yon part en fumée. Christian Jodet, le fondateur, la rebâtit et décide de revendre. C’est là qu’intervient François Lucas, père de Frédéric, qui la rachète en 2010. En 12 ans, le temps pour lui de passer la main, il parvient à multiplier par quatre l’activité, de 9 à 37,4 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022.

Feu vert pour le vélo

Il participe à l’essor du vélo partagé, répond à l’engouement des collectivités, anticipe les demandes des loueurs saisonniers, et voit arriver le boom du vélo à assistance électrique. « Quand mon père a repris l’entreprise, on devait sortir 200 vélos électriques par an. Maintenant, on en fait 30 000 sur les 60 000 qui sortent de l’usine (…) Si les commandes sont encore équilibrées entre électrique et musculaire sur les vélos en partage, l’électrification des parcs de vélos de location courte et longue durée est clairement en marche », constate le fils.

Un lot de vélos prêt à l’expédition.

« Nous n’avons pas de logique d’hypercroissance. L’entreprise ne tourne pas sur une esbrouffe. Nos clients achètent nos vélos, les renouvellent par lots chaque année, et reviennent avec de nouvelles commandes de flottes entières. Notre premier objectif, c’est de les satisfaire, faire en sorte qu’ils reviennent » explique Frédéric Lucas, qui espère être encore bien positionné sur ses marchés dans 15 ans et avoir créé de l’emploi. « Les perspectives sur le marché du vélo sont florissantes à l’échéance 2030. Le gouvernement accompagne la filière. Les aménagements s’améliorent. Le vélo n’est plus seulement un produit de loisir, c’est un enjeu de société en tant que moyen de transport et cela change tout », concède-t-il.

Ce n’est clairement pas nous qui allons le contredire. On pourrait au contraire renchérir, ajoutant les dimensions écologiques, économiques, de santé publique, qui sont autant de facteurs favorables au développement du vélo.

Voir plus grand

Dans ce contexte, en 2020, quand la capacité de production maximale de l’ancienne usine est atteinte et que l’entreprise peine à honorer les commandes de ses clients historiques, elle décide de réinventer son outil de production… en voyant plus grand. Janvier 2023, début des travaux à quelques centaines de mètres de l’ancien site. Début 2024, la nouvelle usine – qui aura coûté 17 millions d’euros – est opérationnelle.

Mais alors, comment Arcade Cycles a-t-elle abordé ce tournant industriel, avec une production doublée en ligne de mire ? Sachant que l’entreprise espère même pouvoir monter à 180 000 vélos par an au terme d’une prochaine phase de croissance.

Un vélo, c’est une centaine de pièces à assembler. Autant de composants qu’il faut stocker dans un gigantesque hangar.

Eh bien déjà, il faut beaucoup plus de place. De 6 000 m², le nouveau site passe à 15 000 m² tout en étant beaucoup plus haut. La capacité de stockage explose, le nombre de quais de chargement/déchargement passe à 9, la gestion du stocke se modernise… « Nous sommes clairement passés à l’étape supérieure à tous les niveaux », résume le directeur.

Pour autant, Arcade Cycles reste dans ce qu’elle sait faire. L’entreprise conçoit, assemble, personnalise et livre. Elle ne fabrique pas ses cadres (qui proviennent en quasi totalité d’Asie) et se fournit en composants chez de nombreux acteurs historiques. Côté motorisation, elle assemble des moteurs Bafang ou Shimano. Mais si à ce jour seulement 30 % environ des pièces viennent de France ou d’Europe, Arcade croit au retour de métiers et savoir-faire français dans l’industrie du cycle à un échelle plus grande. « C’est une demande d’une partie des consommateurs et c’est le sens de l’histoire selon moi », renchérit Frédéric Lucas.

Automatisation et ligne d’assemblage aérienne

Si l’entreprise cultive certaines particularités (elle reste par exemple l’une des seules à livrer des vélos à transmission cardan, une solution alternative à la chaîne ou la courroie très résistante, sans entretien et silencieuse), elle en a aussi profité pour moderniser sa ligne d’assemblage et l’un des postes clés de son activité : la peinture.

Le nouveau procédé de peinture à poudre automatisé.

En visitant l’usine, on découvre donc où arrivent les pièces détachées, comment elles sont triées, réparties, stockées sur d’énormes racks de plusieurs étages. On voit comment sont préparés les cadres soudés en aluminium avant de passer à la peinture. Une étape cruciale qui se fait sur une toute nouvelle machine de peinture à poudre très moderne, avec beaucoup moins de manutention que par le passé, dans un processus automatisé qui a nécessité une formation assez pointue des peintres.

« Avec l’ancien procédé, nous perdions 60 % des poudres utilisées. Grâce à cette nouvelle machine, nous n’en perdons plus que 10 %. Je ne vous dis pas ça pour le gain économique qui est finalement assez minime, mais pour l’aspect écologique car l’atelier peinture est, dans le vélo, l’une des étapes industrielles les plus polluantes », indique le directeur qui explique que ce tout nouvel atelier est paré pour l’avenir, avec la capacité de peindre jusqu’à 180 000 vélos par an.

Sur la nouvelle ligne d’assemblage, les vélos sont pendus à l’envers et avancent de poste en poste.

L’autre innovation pour Arcade, c’est la nouvelle ligne de production aérienne et inversée (les vélos circulent d’un poste d’assemblage à un autre le long de la ligne en étant portés, à l’envers, par des bras). Cela permet aux ouvriers de pouvoir tourner à 360° autour des vélos, améliorer la productivité et la qualité d’assemblage, tout en réduisant les sollicitations biomécaniques et les risques de troubles musculo squelettiques. D’autres postes ont, aussi, pu être automatisés, comme la pose des fonds de jante.

Rester flexible

« Nous avons, en schématisant, une trentaine de modèles de vélos que l’on va pouvoir personnaliser en fonction des besoins du client. On part d’une base et on va pouvoir faire des choix de transmission, de fourche, de pédales, etc. Un vélo, c’est entre 80 et 120 pièces à assembler, vis comprises, et nous avons ici une flexibilité et une agilité qui nous permettent de nous adapter très vite aux commandes ».

Le passage des gaines et câbles se fait avant que les cadres ne soient accrochés.

Nous pouvons nous en rendre compte durant la visite, et percevoir les efforts faits pour améliorer l’efficacité des opérateurs. Il n’y a quasiment pas de port de charges lourdes et les différents postes d’assemblage, guidés par informatique, ont été pensés pour être les plus ergonomiques possibles en écoutant les retours des ouvriers.

Les cadres peints sont séchés et stockés, avant d’être montés sur la ligne où ils vont tour à tour recevoir leurs sérigraphies, leurs roues, leurs câblages, leurs transmissions, leurs équipements… jusqu’à passer par l’étape de test qualité et de rejoindre le stock prêt à l’expédition.

Cette zone est la dernière que nous visitons. Sur la gauche, 900 vélos peuvent être préparés pour l’expédition en lots, simplement protégés par du papier à bulle et calés par des cartons. A terme, des racks sur trois niveaux seront déployés, pour un total de 2 700 vélos ainsi stockés. Ils sont surtout destinés aux grandes flottes, comme les vélos en partage. Sur la droite, les vélos en plus petites séries sont emballés en cartons et parés pour l’expédition, là encore stockés sur plusieurs niveaux. La taille de l’entrepôt est, à l’image du reste de l’usine, impressionnante.

Pas de problème de surstockage

Si l’on peut acheter des vélos Arcade Cycles dans le showroom de l’usine, sur son site Internet ou chez certains revendeurs partenaires, on l’a compris, le cœur de métier de l’entreprise est le B2B. Un positionnement particulier qui lui a permis de traverser l’année 2023 plus sereinement que bien des acteurs.

Dernières vérifications avant la préparation à l’expédition.

« Comme vous, nous avons entendu que des fabricants avaient 100% de leur chiffre d’affaires annuel en stock, voire plus. Ce n’est pas notre cas, nous sommes dans une situation parfaitement normale avec entre 25 et 30 % de notre chiffre d’affaires en stock. Nous avons aussi eu la chance d’avoir gagné un gros contrat qui nous a bien occupé dans le creux de la vague, si bien que nos ventes sont restées en croissance en 2023 avec un chiffre d’affaires porté à 39 millions d’euros l’an passé, ce qui représente 5 % de hausse », dévoile Frédéric Lucas.

Et on l’a compris, ce dernier n’a pas l’intention de ralentir la cadence. L’entreprise livre aujourd’hui les vélos de 200 villes dans 28 pays et s’est dotée, avec cette nouvelle usine, de quoi sortir beaucoup plus que 60 000 vélos par an. Elle emploie à ce jour 124 salariés et prévoit d’en embaucher 20 de plus à assez court terme, tout en ayant également recours à des intérimaires (pour un équivalent de 170 temps pleins au total en intégrant ces types de contrats).

Des vélos prêts à l’expédition à perte de vue.

Il faut dire que les perspectives de croissance pour le secteur du vélo à l’échelle européenne ne se démentent pas malgré le contre-coup de l’année 2023, avec une hausse des ventes de 10 à 15 % par an depuis 2019 qui doit porter le marché de l’union à 30 millions de vélos vendus à l’échéance 2030. « Si l’on reste sur un équivalent de nos parts de marché, aussi modestes soient elles, en appliquant ces projections, alors nous aurons du boulot » sourit le patron.

  • Publié le 27 mars 2024

En banlieue parisienne, ce quadra père de 2 enfants pratique le vélo au quotidien de manière (assez) sportive, sur route et en dehors. A des envies de longues randonnées à la découverte de nouveaux paysages.

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