« Nos clients n’en peuvent plus de la bagnole ! » : le bel avenir de la cyclologistique
Au Forum de la Cyclologistique de Paris, nous avons croisé des vélos qui ressemblent à des camionnettes, discuté avec des livreurs à vélos assis, découvert des remorques qui portent des palettes et vu tout un petit écosystème en effervescence promis à un bel avenir.

C’est à La Cité Fertile de Pantin, au Nord-Est de Paris, que le petit monde de la cyclologistique francilienne s’était donnée rendez-vous le mercredi 12 mars 2025 pour un forum spécialisé. Nous nous y sommes rendus à l’invitation des Boîtes à Vélo, une association qui réunit les professionnels de tous poils qui évoluent à vélo.
David Belliard, adjoint à la Mairie de Paris en charge des mobilités, était présent pour donner le coup d’envoi de l’événement. « Ce n’est pas une opinion mais un fait, la cyclologistique n’en est qu’au tout début du chemin. C’est le sens de l’histoire et je suis heureux de voir que l’on a passé un cap dans l’esprit collectif concernant la place du vélo dans notre quotidien, personnel et professionnel. En tout cas, la Mairie de Paris est pleinement impliquée dans le développement de l’activité professionnelle à vélo. C’est un moyen d’améliorer la qualité de vie des citoyens en ouvrant de nouvelles perspectives de développement économique », déclare-t-il devant une salle forcément très réceptive.

Outre un réseau cyclable qui se densifie dans la région et des aménagements de plus en plus satisfaisants à Paris, ce sont bien les contraintes de circulation et de stationnement qui motivent le plus souvent les professionnels de la livraison (et les autres) à se mettre à la « cyclo ».
Un potentiel de croissance énorme
« Les gens qui ont une démarche écologique sont déjà très informés des solutions B2B à vélo mais il faut bien se rendre compte que 80% des clients nous démarchent en nous disant qu’ils n’en peuvent plus de la bagnole. Avant même les questions de rendement ou de coût, ce sont la difficulté à circuler, à se stationner et les amendes qui les poussent à envisager d’autres moyens de faire leurs métiers », nous explique Frédéric Ginja, commercial chez Kleuster, fabricant de vélos cargos professionnels.

Depuis 2000, le secteur enregistre une progression constante de son activité, avec une nette accélération sur les cinq dernières années. Pour autant, la conjoncture économique n’est pas favorable pour le secteur des transports depuis 2022, entraînant une stagnation du marché de la cyclologistique sur les deux dernières années. Un marché qui réunit, en France, quelque 205 opérateurs répartis dans 74 villes. L’immense majorité de ces acteurs sont de très petites entreprises. « Le secteur ne compte qu’un seul grand groupe et deux entreprises de taille intermédiaire, tout le reste est composé de petites structures » résume Margherita Alessandrini, directrice du programme Cyclo-Cargologie.

Cela ne veut pas dire que les perspectives sont bouchées. Loin de là. « Aujourd’hui, selon les études, on évalue à 2 ou 3 % les trajets avec port de charge qui sont effectués à vélo, alors qu’en moyenne 42 % de ces trajets sont réalisables à vélo cargo en restant compétitif. Le potentiel de croissance est juste énorme et, vus les nombreux avantages de la cyclo, il n’y a aucune raison pour que cela n’explose pas », s’enthousiasme Gauthier Urbain, l’ambassadeur de ce programme visant à accélérer le développement de la cyclologistique en France.
Déambuler sur l’espace d’exposition de ce forum permet de se rendre compte de tout ce qu’il est possible de faire à vélo lorsque l’on est professionnel de la livraison ou artisan. Entre les petites remorques surcyclées fabriquées localement à la commande et les énormes vélos cargos capables de transporter jusqu’à 500 kg de marchandises et 2 m3 (« un demi Kangoo » comme résume un acteur du secteur), il existe une multitude de possibilités.

Il y a les remorques motorisées de toutes les tailles, celles qui se déplient pour devenir des stands de vente, les solutions conçues sur-mesure pour répondre aux besoins d’un corps de métier en particulier, les unités de transport à température dirigée en froid positif ou négatif pour les denrées périssables… « Ici on trouve vraiment de tout, c’est super impressionnant de voir comment tout cela se développe alors que souvent quand on parle de logistique à vélo, les gens s’imaginent simplement un coursier sur la selle d’un biporteur (…) On voit notre famille s’agrandir au fur et à mesure et les choses se structurer, ça motive », nous glisse un livreur professionnel sur le stand des Cargonautes, une Scop créée en 2015 qui emploie aujourd’hui plus de 40 personnes.
Plus rapide, moins cher, plus écologique
Nos discussions croisées avec tous ces acteurs confirment qu’il y a peu de jugements de valeur entre les uns et les autres, mais plutôt un but commun de participer au développement de modes de transports et d’activité plus soutenables et vertueux pour la planète et ses habitants. Peu importe que certains vélos cargos ressemblent à de petites camionnettes à pédales quand d’autres tiennent à rester de vrais vélos en termes d’encombrement, ou que des acteurs pensent leurs solutions cyclo comme un complément aux modes de transport motorisés plus traditionnels, tous pédalent dans la même direction.

Il faut dire que les études démontrant les avantages de la cyclologistique sont nombreuses et unanimes. Celle reprise par le programme Cyclo-Cargologie, réalisée à Bordeaux par les services de livraison de La Poste, témoigne d’un gain de 15 % sur le temps de livraison en moyenne, d’un coût pouvant être divisé par quatre, d’une réduction des échecs de livraison et des vols de marchandises, d’une ponctualité largement améliorée sur les livraisons avec une heure de rendez-vous donnée… et tout ça en polluant deux fois moins qu’en livrant avec un véhicule utilitaire léger électrique.
Si l’essor anticipé est au rendez-vous, le secteur de la cyclologistique va devoir relever le défi du recrutement. « On ne va pas prendre des chauffeurs poids lourds et les mettre sur des vélos, ça ne peut pas marcher comme ça. Le métier est différent, il nécessite des formations particulières et les gens ici vous le diront tous, être livreur à vélo demande une palette de compétences assez large », résume Gauthier Urbain. Sur le forum, on croise d’ailleurs des entreprises de formation aux métiers de la cyclologistique.

Cela passera aussi par une diversification des profils. « Aujourd’hui, les études que l’on a nous montrent que le profil type du livreur à vélo est un homme blanc de 33 ans surdiplomé qui a choisi cette activité par conviction. Il faut réussir à attirer plus largement vers nos métiers, en les valorisant, en proposant de bonnes conditions de travail en termes de confort et de sécurité notamment. En quelques années, on a vu le nombre de femmes doubler dans le secteur, passant de 7 à 14 % mais il y a encore beaucoup à faire », reconnaît-il.
Impossible de ne pas noter le paradoxe saisissant avec le profil des livreurs ubérisés qui sillonnent nos villes avec un sac isotherme sur le dos, très souvent racisés et extrêmement précaires, mal équipés, sans protection sociale. « Notre programme voit cette activité des livreurs des plateformes comme étant à part. Leurs conditions de travail sont désastreuses. Il s’agit ni plus ni moins d’exploitation et on ne peut pas construire un modèle durable pour la cyclologistique de cette manière », explique l’ambassadeur de Cyclo-Cargologie.
De la cohabitation sur les pistes cyclables
Autre paradoxe, celui de la taille des engins en comparaison avec le vélo de monsieur et madame « tout le monde ». Des remorques motorisées et autres tricycles parfois presque aussi larges que de petites camionnettes. « On a accès aux pistes cyclables, on peut se garer sur les trottoirs, on conserve les avantages du vélo » nous explique le représentant de Kleuster. Pour autant, tous les acteurs croisés sur l’événement concèdent que de petites tensions peuvent exister entre cyclistes, surtout à Paris où le trafic est très dense, y compris sur piste cyclable.

« C’est vrai qu’avec ma remorque, lancé à 18 km/h, je sens que je crée parfois une file de vélos impatients derrière. Mais les choses s’améliorent à certains endroits, on a des voies cyclables qui font parfois 3 ou 4 mètres de large et qui favorisent les dépassements. Sinon, il faut simplement être courtois. S’avoir s’écarter et patienter 10 secondes à un feu pour laisser le flux passer. C’est aussi une histoire de philosophie, on ne va pas se battre pour quelques secondes », résume un livreur venu « voir des amis et regarder les nouveautés », gapette vissée sous le casque.

A la Mairie de Paris, c’est un sujet actuellement en réflexion. De nouvelles normes pour les vélos cargos sont en train d’être mises en place et une largeur maximum sera imposée à l’avenir. Elle sera a priori comprise entre 1m et 1m20. Ici, certains militent également pour que les quadricycles et engins de livraison intermédiaires (plus gros que des vélos, plus petits que des voitures) bénéficient d’autorisations et règles de circulation plus claires. « On est un laboratoire permanent et rien n’est figé, on invente les modes de circulation, de transport et de travail de demain, c’est ça qui est passionnant », résume, pour conclure, Margherita Alessandrini.
- Publié le 13 mars 2025